Juliette Boucheny est actrice, scénariste et réalisatrice. Nous avons vu son court-métrage « Perle » sélectionné dans différents festivals en France et à l’étranger.
Ca me fait très plaisir d’avoir l’occasion de parler de « Perle » et de tes projets à venir. Quel chemin parcouru depuis l’école de commerce où nous nous sommes rencontrées avec Julia ! Que s’est-il donc passé depuis?
J’ai travaillé dans la société de production ELEPHANT, puis j’ai fait une formation de trois ans à l’Ecole du Jeu. A la sortie, j’étais danseuse/ comédienne dans la création HunNa du chorégraphe Khalid Benghrib. Nous avons travaillé entre le Maroc et le Liban. C’était une expérience exceptionnelle, vraiment magique.
Est-ce que tu regrettes avoir étudié le management plutôt que le cinéma d’emblée?
J’ai étudié le management car c’était le rêve de mon père. Je savais que je réaliserai le mien plus tard…
Je me suis débrouillée pour valider mon diplôme de commerce en travaillant en développement de séries au sein du groupe ELEPHANT. On m’a offert l’opportunité de développer des épisodes pilotes pour différentes chaînes. Donc j’ai travaillé avec les auteurs, directeurs de casting, réalisateurs, monteurs etc.. J’ai vraiment découvert tous les rouages du métier là-bas, ça a « remplacé » une formation dans une école de cinéma. J’ai aussi commencé en tant qu’actrice à ce moment-là, avec des tournages pour la télé et le ciné.
Photographe : Studio DSTN
Quand as-tu eu le déclic de te lancer dans la réalisation?
A mon retour du Liban, cette expérience m’a tellement enrichie et fait grandir que j’ai senti que j’avais la force de me lancer dans mes projets personnels : la réalisation de mon premier court-métrage. Pour enchaîner sur l’écriture du long.
T’es-tu sentie épaulée et soutenue dans ta démarche?
Je me suis lancée seule dans ce projet. Je n’ai pas été soutenue au début.
J’ai commencé à l’écrire en octobre et j’avais décidé qu’en juillet je le tournerai. Je m’étais fixée ce mois ci car je voulais tourner l’été à Cannes. Donc j’ai tout mis en oeuvre pour que ça se fasse. Je suis allé chercher les conseils, les rencontres… J’ai écrit à des personnes du milieu dont j’appréciais le travail, nous nous sommes rencontrés, elles ont beaucoup aimé le scénario et leurs mots m’ont donnée la confiance nécessaire pour avancer. Ensuite, j’ai cherché les financements, j’ai eu une sélection du CNC (Centre National Cinématographique)…
« Perle », ton court-métrage bourré d’humanité et d’une grande justesse, a été sélectionné plusieurs fois en festival l’année dernière… D’où t’est venue l’idée de « Perle »?
« Perle » est inspiré de l’histoire de mon cousin et ma grand-mère. Une histoire qui a commencé quand j’avais 10 ans, et depuis, je me suis toujours dit que je la raconterai… Quand ma grand-mère est décédée il y a six ans, j’avais d’abord besoin de faire le deuil, de comprendre, et puis l’acte créatif s’est enclenché…
Tu abordes un thème que l’on a encore jamais vu ou très rarement au cinéma, en abordant la féminité à 80 ans, les désirs d’une femme de cet âge. Pourquoi as-tu voulu mettre cela en lumière?
C’est un sujet qui m’a beaucoup travaillée. Ma grand-mère a perdu son mari et elle n’a plus réussi à vivre sans lui, elle n’est plus sortie de chez elle les dix dernières années de sa vie. Elle a décidé elle-même de se perdre entre le réel et ses souvenirs. Je m’occupais d’elle et elle me racontait ses pensées de manière très aléatoire ou incongrue pour moi. Je trouvais ça magnifique, cette déconnexion du moment présent et cette connexion à son intériorité, ses désirs profonds, sa sexualité… Elle m’a beaucoup appris sur la vie.
Ma famille avait très peur de son « état », ils n’arrivaient pas à la voir. Alors j’avais envie de montrer que son état était beau, de mettre de la lumière sur ce qui pouvait faire peur, montrer qu’on peut accepter sa tristesse et sa déconnexion car en vérité, c’est toute la beauté de la vie.
Photographe : Léna Desvigne – DOP : Naomi Amarger
Etait-ce important pour toi de filmer sous l’angle du regard féminin ? (Laura Mulvey a conceptualisé le « female gaze » en 1975 par opposition au voyeurisme. Le concept est plus tard entendu comme perspective féminine. D’après le test de Bechdel, 53% des films réalisés par des hommes ne mettent pas en scène des femmes parlant ensemble d’autre chose que d’un ou plusieurs hommes!)
Je ne réfléchis pas du tout à un point de vue masculin ou féministe. J’ai simplement quelque chose que je souhaite dire ou montrer, de manière très personnelle, et donc je le fais. Mais tu as raison, dans « Perle », je remarque que la scène importante entre la mère et la fille ne concerne pas un homme, et que leur conversation est liée à la féminité de la femme. Je voulais aussi sensibiliser les hommes à ce sujet. J’ai grandi dans une famille d’hommes, avec un patriarcat très fort, des frères très durs. Il fallait se battre sans cesse pour faire accepter ses idées en tant que fille/femme. Donc ils sont les premières personnes qui me donnent envie de parler de sujets dits « tabous », pour ouvrir leurs champs de vision.
J’ai eu vent d’un projet de long métrage, peux-tu nous en dire plus?
Oui, je suis en pleine écriture du long-métrage. Il est un peu différent du court, le petit garçon devient le personnage principal.
Tu as une histoire d’amour avec le Togo, quand nous la feras-tu partager?
Alors mon histoire d’amour avec le Togo a commencé il y a huit ans quand j’ai travaillé là-bas. Je travaillais avec des enfants dans des villages, je dormais dans différentes familles au sein des villages… Je retourne travailler avec eux tous les deux ans. Petit à petit, une idée de film est née… inspirée par un petit garçon dont je suis très proche. Alors j’ai écrit un scénario de court métrage au début du premier confinement, il a reçu un prix au Festival Côté Court et là nous commençons, avec ma productrice, le financement… Je prépare donc ce deuxième court de fiction “Les morceaux de bois” que je tournerai au Togo. J’ai hâte, ce sera une nouvelle belle aventure qui demandera beaucoup de travail car je souhaite faire jouer les enfants de mes familles d’accueil, leurs parents etc… Et ils ne sont pas comédiens !
Je sais que tu lis beaucoup. Quel.les auteur.es t’inspirent en général ? Aurais-tu des recommandations de lecture à nous faire en ce moment ?
Oh la la, il y en a tellement ! Difficile de choisir ! Il y a les femmes, Laure Adler (« A ce soir « ), Maya Angelou, Marceline Loridan Ivens ( » Et tu n’es pas revenu »), Marguerite Duras, Chimamanda Ngozi Adichie. Il y a les hommes… James Baldwin toujours, son livre « Meurtres à Atlanta ». Je rêve de rencontrer le philosophe Edgar Morin : tous ses livres sont des guides… Christian Bobin, je le lis chaque jour, il met de la poésie dans chaque élément de la vie. Il réconforte, surtout avec la situation actuelle. En ce moment, je conseillerais « Autoportrait en Noir et Blanc » de Thomas Chatterton Williams pour désapprendre l’idée de race. Et « Par la force des arbres », d’Edouard Cortes : il a construit de ses mains une cabane en haut d’un chêne et y a vécu pendant plusieurs mois. Superbe livre!
Que dirais-tu aux jeunes femmes qui hésitent à se lancer dans une carrière artistique?
Je pense qu’il faut évaluer son désir, si le désir vient des tripes et que tu penses ne pas réussir à vivre sans ça… il faut se lancer. C’est assez compliqué mais les obstacles sont à appréhender comme les obstacles d’un saut de haie en athlétisme !
Et puis d’une manière générale, la vie est trop courte, avec ce que l’on connait en ce moment, il vaut mieux faire quelque chose que l’on aime, alors lance-toi !
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Sophie Guillermin
Sophie est directrice produit chez Angage. Elle s'évertue à développer des outils modernes qui facilitent la collaboration de n'importe où et à n'importe quel moment, toujours dans une optique de créer un Future of Work flexible et respectueux de nos vies multiples et pourquoi pas changer le monde grâce à la stimulation de l'intelligence collective.
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